Les Revolvers British Bull Dogs de Webley
Les conditions d’une genèse
Toute avancée technologique s’appuie sur les précédentes. Rappelons quelques
jalons ayant permis la genèse du British Bull Dog de Webley.
1836 : Colt définit la structure du premier revolver de l’ère moderne (Colt
Paterson), encore à chargement par l’avant du barillet.
1854 : Revolver Lefaucheux en calibre 12 mm à broche.
1858 : Lancement du Smith & Wesson N°1 en calibre 22 annulaire, et à barillet
foré de part en part avec chargement par l’arrière et cartouche métallique.
1866 : Invention de la munition à percussion centrale Boxer, ouvrant la voie aux
cartouches métalliques de puissance et calibre plus importants.
1867 : Webley réalise la synthèse et perfectionne les concepts de Tranter et
Adams pour créer le revolver Royal Irish Constabulary (RIC) qui sera l’ascendant
direct du British Bull Dog.
1890-1892 : La généralisation de la poudre sans fumée marque le début du déclin
des revolvers à poudre noire… Mais ce déclin durera jusqu’au milieu du 20°
siècle !
On peut noter que le design final des revolvers RIC et British Bull Dogs fut le
fruit de divers tâtonnements de la part de Webley qui mit plusieurs années à
affiner son concept. Les modèles présentés ci-dessous témoignent de cette
période, allant de la moitié des années 1860 à celle des années 1870.
Ces revolvers étaient caractérisés par une tige d’extraction vissée dans la poignée et une lame-ressort fixée sur la carcasse en guise de sûreté en permettant le blocage du chien. Ces armes de qualité étaient néanmoins affectées par un système de verrouillage du barillet archaïque, engendrant un jeu latéral assez pénalisant au tir.
Historique
De nombreuses variantes seront ensuite produites par Webley lui-même, puis par des artisans de toutes nationalités dont une grande proportion à Liège en Belgique. Les modèles de Webley les plus aboutis seront produits jusqu’aux années 1930, notamment sous la forme du RIC modèle 83, dérivé du Bull Dog N°2 en calibre 450 (photo suivante, catalogues Stoeger 1928 & 1934).
Le modèle N°2 « final pattern » du Bull Dog Webley sera proposé à partir de 1878 en différents calibres, avec une prédominance en fin de carrière des calibres européens 320, 380 et 450 Bull Dog (photos suivantes).
Cette arme sera rapidement adoptée par une clientèle souhaitant disposer d’un revolver fiable et compact, aisé à transporter dans une poche de veston ou de pantalon et apte à utiliser des munitions de puissance respectable, en tout cas bien supérieure aux modèles précédemment sur le marché. Par exemple, l’exportation aux Etats-Unis constituera rapidement un débouché important pour Webley, comme en témoigne le catalogue Fisher de 1880 présenté ci-dessous.
Sur le continent américain, les meilleures copies, et les plus proches du dessin original de Webley, sont dues à la société Forehand & Wadsworth qui commercialise avec succès d’excellents revolvers de type British Bull Dog.
Trois calibres sont essentiellement proposés par le fabricant américain, à
savoir les calibres 44, 38 et 32. Ces modèles peuvent se trouver de nos jours
encore assez facilement grâce à une production importante, en tout cas très
supérieure à celle de Webley.
Le marché continental de l’arme de poche ne peut ignorer le progrès apporté par
ces revolvers comparativement aux modèles alors sur le marché (systèmes à broche
type Lefaucheux, poivrières et derringers, etc). En effet, le Webley Bull Dog
offre une remarquable puissance de feu pour un volume et un poids réduits.
Typiquement, un Bull Dog de gros calibre mesure environ 16 cm en longueur et
pèse de 450 à 550 grammes. Les fabricants et revendeurs français ont
astucieusement exploité un argument commercial habile en les chambrant dans un
calibre d’environ 12 mm, lequel est fréquemment spécifié dans les catalogues
d’époque. Ainsi ces revolvers d’usage civil ou de « back-up » des professionnels
des armes pouvaient accommoder indifféremment les munitions en calibres 442, 450
et en calibre réglementaire français de 11mm73. Ceci offrait aux militaires,
gendarmes et policiers une arme de poche apte à utiliser les mêmes munitions que
leurs revolvers d’ordonnance bien plus lourds et encombrants que ces Bull Dogs
compacts et deux fois plus légers. Bien entendu la précision pouvait s’en
ressentir puisque les balles pouvaient « flotter » un peu dans les rayures du
canon, mais un revolver de poche à canon court n’a aucune destination au tir de
précision. On retrouvera souvent cet argument publicitaire dans les notices et
dépliants d’époque.
Quoique de dimensions voisines, les munitions de calibres 442, 450 et 11mm73
présentent quelques différences, dont les valeurs moyennes sont indiquées
ci-dessous :
- 11 mm 73 : diamètre de l’ogive 11,46 mm, longueur de l’étui 18 mm, longueur
totale 29 à 30 mm, puissance environ 100 Joules.
- 442 : diamètre de l’ogive 11,07 mm, longueur de l’étui 17 mm, longueur totale
28 mm, puissance environ 200 Joules.
- 450 : diamètre de l’ogive 11,6 mm, longueur de l’étui 17 mm, longueur totale
28 à 29 mm, puissance supérieure à 200 Joules.
Le bourrelet des cartouches en calibre 450
est plus épais que celui des munitions réglementaires de 11mm73, et l’ogive
ainsi que l’étui sont légèrement plus larges. En revanche le calibre
réglementaire français présente une longueur totale un peu supérieure. Ces
nuances empêchent un chargement et une rotation aisés dans les armes conçues
avec précision pour un calibre donné. Cet inconvénient était donc détourné par
les fabricants grâce à un chambrage « large » et tolérant, ce qui permettait
l’utilisation des différentes cartouches…
Insistons sur l’extrême rareté des authentiques British Bull Dogs de Webley.
Sans qu’il soit aisé d’en estimer la production totale, les experts du domaine
n’en n’ont mondialement recensé qu'environ 1.500 exemplaires parvenus jusqu’à
nos jours, les petits calibres étant nettement plus rares. Les images qui
suivent décrivent quelques exemplaires de British Bull Dogs Webley ayant été
commercialisé en France ces dernières années.
Les British Bull Dogs dans l’histoire
L’exemplaire dont les images sont disponibles, soit par des gravures d’époque,
soit par la photographie du musée qui en disposera quelque temps, n’est
cependant pas un Webley…
Mais il est fort possible qu’il y ait eu substitution de l’arme dans la
confusion suivant les tirs et l’arrestation de l’assassin.
Les British Bull Dogs au cinéma et en littérature
Mais surtout, ils s’illustrent au cinéma en tant que fidèles compagnons de
Sherlock Holmes et du Dr Watson. On en discerne plusieurs exemplaires dans les
épisodes de l’excellente série Granada avec Jeremy Brett, ainsi que dans les
versions récentes réalisées au cinéma par Guy Ritchie, avec Robert Downey Jr
(Sherlock Holmes) et Jude Law (Dr Watson). Néanmoins, si l’on se réfère au
strict canon Holmésien, c’est-à-dire aux œuvres romanesques effectivement
écrites par Arthur Conan Doyle, la nature exacte des armes portées par les deux
associés reste suffisamment mystérieuse pour alimenter sans fin les discussions
des passionnés du 221B Baker Street ! En effet, il n’est jamais indiqué de façon
précise une marque ou un modèle d’arme de poing dans les diverses aventures de
Sherlock Holmes. Le terme revolver y revient très souvent, ce type d’arme est
donc sans équivoque porté par Sherlock et Watson. Plusieurs célèbres gravures de
Paget illustrant les aventures du duo montrent en effet des revolvers en pleine
action dans les mains des héros.
Mais de quels revolvers peut-il s’agir ? Examinons les quelques indices laissés
par l’auteur. Watson et Holmes seraient nés au milieu des années 1850,
probablement 1852 pour Watson et 1854 pour Sherlock. Ce dernier débute sa
carrière en 1878, année où Watson obtient son diplôme de doctorat en médecine.
En 1879, le Dr Watson part faire la guerre en Afghanistan où il sera blessé. De
retour en Angleterre en 1881, il rencontre Holmes et s’installe avec lui au 221B
Baker Street. Dès leur première enquête cette année-là, "Une étude en rouge", il
est mentionné que Watson possède "un vieux revolver d’ordonnance avec quelques
cartouches". Il ne peut guère s’agir ici d’un British Bull Dog, de conception
trop récente et d’usage civil et non militaire. On peut supposer que l’auteur
évoque un revolver Adams. Ce vieux revolver réapparaît en 1888 lors de
l’aventure intitulée "Le signe des quatre", à l’issue de laquelle ce bon Docteur
trouvera épouse, puis en 1890 dans "La ligue des rouquins". Mais la plupart des
textes de Conan Doyle parlent de revolvers "de poche", caractéristique qui n’est
pas vraiment adaptée à un revolver d’ordonnance lourd de nettement plus qu’un
kg, et disposant d’un canon de 4 à 6 pouces. L’option d’un British Bull Dog
devient alors assez crédible. Une précision, laquelle ne fait du reste
qu’ajouter au mystère, est donnée dans la nouvelle "La bande tachetée", où
Sherlock Holmes conseille au Dr Watson de glisser dans sa poche son revolver,
"un Eley N° 2"… Eley est un fameux fabricant britannique de cartouches, mais qui
n’a au grand jamais produit la moindre arme à feu !
Cette aventure se déroulant en 1883, soit environ dix ans après la
commercialisation des premiers British Bull Dogs Webley N° 2, et donc en pleine
période de succès pour ce modèle, il est extrêmement tentant de voir un lapsus
dans la prose de Doyle, et d’imaginer que Watson a acquis un Webley tout neuf en
complément de son Adams…Cette idée est renforcée par la lecture "L’aventure des
7 horloges" se déroulant en 1887. Cette nouvelle est issue de l’ouvrage "Les
exploits de Sherlock Holmes" par Adrian Conan Doyle, le propre fils d’Arthur
Conan Doyle. On y lit qu’Holmes sort d’un tiroir de son bureau un Webley 320
avec des cartouches N° 2. Aucun doute ne subsiste : les deux hommes sont munis
de Webley Bull Dogs N° 2, tout au moins occasionnellement !
Une affiche éditée en Grande-Bretagne évoque les armes potentiellement détenues
par le détective et son biographe au long de leur carrière. Un Webley Bull Dog
N°2 y figure en bonne place !
Jean-Christophe Plaquevent
Références et bibliographie
Et pour en savoir plus, voici une sélection de superbes ouvrages détaillés…
Webley
Solid Frame Revolvers, N°1, 1&1/2, 2, Bull Dogs & Pugs
par Joel Black, Homer Ficken & Frank Michaels
La Bible définitive en ce qui concerne les Webley et les Bull Dogs britanniques.
Superbe ouvrage abondamment illustré de splendides photos, et compilant
l’ensemble des connaissances acquises dans le domaine par les meilleurs experts
des Etats-Unis. La référence absolue !
Hardcover: 288 pages
Publisher: Schiffer Pub Ltd (December 28, 2008)
Language: English
The
British Bulldog - The Forgotten Gun that Really Won the West
par George Layman
Publisher: Andrew Mowbray Inc., Publishers (December 1, 2006)
Language: English
R.I.C. et Bull Dog et leurs dérivés
par Gérard Lecoeur & Michel Léger
Très bon petit ouvrage, en français, d’introduction à l’histoire des RIC et Bull
Dogs. Les auteurs réalisent un tour d’horizon de la production des différentes
nations, après un bref historique consacré à Webley. Beaucoup d’informations
utiles sont compilées dans ce livre à la lecture agréable.
Broché: 144 pages
Editeur : Editions Crépin-Leblond (9 septembre 2008)
Langue : Français
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