PRIVILÈGES ET BREVETS

 Les armes espagnoles portant l'inscription « PRIVILÈGE » sont rares, ce qui indique qu'elles constituent ce que leur inventeur jugeait digne des dépenses engagées pour obtenir un “certificat royal de privilège”, qui conférait, pour un certain nombre d'années, le droit exclusif de les fabriquer.

La première mesure concrète visant à protéger les inventeurs fut adoptée en Espagne par Charles III qui, par un décret royal du 29 novembre 1776, accorda des “titres de privilège” à ceux qui inventaient ou introduisaient des machines ou des dispositifs inconnus en Espagne et dans ses territoires. L’objectif était d’encourager la création de nouvelles industries, plutôt que de reconnaître la propriété intellectuelle des inventions. Le “titre de privilège” conférait des droits d’exploitation exclusifs pour une durée déterminée.

Cette première mesure, dont j'ignore les résultats hypothétiques dans le domaine de l'armement portatif, fut suivie de la loi du 2 octobre 1820, inspirée de la loi française de 1791. Elle reconnaissait le droit de propriété de l'inventeur sur son œuvre, stipulant dans son premier article : “Quiconque invente, perfectionne ou introduit une branche d'activité industrielle a droit à la propriété de celle-ci, pour la durée et dans les conditions prévues par la présente loi”. Les titres octroyés étaient définis comme des “certificats d'invention”, mais l'abrogation de cette loi la même année que son entrée en vigueur rend son application douteuse.

Par décret royal du 27 mars 1826, Ferdinand VII reconnut à nouveau la propriété des inventions par leurs créateurs, tout en renouant avec l'emploi du terme “privilège” dans les décrets royaux destinés aux parties intéressées. Ces décrets de “privilège” pouvaient être “d'invention” si l'invention concernait une nouveauté, ou “d'introduction” si elle portait sur une invention connue à l'étranger mais non encore exploitée en Espagne.

Dans le premier cas, le droit exclusif de fabriquer l'invention pouvait être demandé pour une durée maximale de quinze ans, tandis que dans le second, cette durée était réduite à cinq ans.

Ce décret royal resta en vigueur pendant plus de cinquante ans, intégrant durant cette période une série de dispositions complémentaires visant à clarifier les concepts et à établir les exigences. On peut citer, par exemple, l'Ordonnance royale du 27 juillet 1829, qui précisait que les “privilèges d'introduction” visaient à protéger les produits fabriqués localement et non les produits importés, ou encore l'Ordonnance royale du 11 janvier 1849, qui imposait la démonstration de la mise en œuvre du privilège “dans un délai d'un an et un jour”. Il est clair que, pour l'Administration, la préoccupation première n'était pas la perception des droits de délivrance des décrets royaux – dont le montant, dans le cas des certificats d'”invention”, augmentait proportionnellement à la durée demandée –, mais plutôt la fabrication du produit “privilégié” en Espagne, afin de promouvoir son industrie.

Un inventeur résidant hors d'Espagne pouvait obtenir un “brevet royal” pour l'un de ses produits, mais s'il ne parvenait pas à en organiser la fabrication en Espagne dans le délai imparti, que ce soit en créant une usine ou en accordant une licence à un fabricant national, il perdait ses droits. Un inventeur qui n'a pas obtenu de brevet d'invention pour ses produits ne peut légalement empêcher leur fabrication en Espagne sans son autorisation, ni empêcher un tiers d'obtenir un brevet de mise en circulation. Logiquement, la fabrication d'un produit en Espagne sans dépôt de brevet rend caduque toute tentative ultérieure d'obtention d'un brevet pour ce produit.

Le nombre de privilèges demandés durant les cinquante années d'application du décret royal du 27 mars 1826 s'élevait à 5 009, un chiffre légèrement supérieur en raison de doublons dans la numérotation de certains dossiers. Seules six demandes relatives aux armes portatives ou aux armureries furent déposées entre mars 1826 et avril 1852. Entre avril 1852 et juillet 1878, 128 demandes furent enregistrées : 52 par des Espagnols et 76 par des inventeurs d'autres nationalités. Seules deux concernaient les armes blanches.

Avec la loi sur les brevets du 30 juin 1878, la demande de certificats de “privilège” prit fin et la demande de titres de “brevet” commença. Cependant, la terminologie précédente était si profondément ancrée que, jusqu'à la fin du siècle, les termes “privilège” ou “privilégié” restèrent dans le langage courant comme synonymes de “brevet” ou “breveté”.

La nouvelle loi ne mentionnait que les “brevets d'invention”, introduisant la notion de “nouveauté absolue”, définie comme “ce qui n'est ni connu, ni établi, ni pratiqué sur le territoire espagnol ou à l'étranger”. Seul ce qui remplissait cette condition pouvait être breveté. Toutefois, le texte précisait ensuite : “la durée des brevets pour tout ce qui n'est pas une invention propre, ou qui, même inventé, n'est pas nouveau, sera de cinq ans non renouvelables”. De ce fait, l'existence de “brevets d'introduction” était de facto autorisée, bien que considérés comme des brevets d'invention d'une durée de cinq ans.

La durée des brevets d'invention était fixée à 20 ans non renouvelables, sous réserve du paiement d'une redevance annuelle progressive, de la mise en œuvre du brevet sur le territoire espagnol dans un délai de deux ans, et du maintien de cette production de manière continue ou sans interruption supérieure à un an et un jour. Dans les deux derniers cas, une prolongation de six mois pouvait être demandée, sur justification.

Parmi les autres points d'intérêt figuraient l'intitulé de chaque brevet, qui stipulait : “Brevet d'invention sans garantie de l'État quant à la nouveauté, l'adéquation ou l'utilité de l'objet auquel il s'applique”, et le texte de l'article 52 du titre 9, indiquant que “l'action en poursuite pour usurpation, prévue et punie par le présent titre, ne peut être engagée par le ministère public que sur plainte de la partie lésée”.

L'État n'était pas tenu de vérifier si une demande de brevet pouvait porter atteinte aux droits d'un autre brevet existant, ni de garantir que le produit breveté procurerait l'avantage escompté par son inventeur, ni d'engager des poursuites contre ceux qui ne respectaient pas les droits conférés par un brevet sans plainte préalable de la partie s'estimant victime de son usurpation.

Il devint donc nécessaire de fournir des informations sur les brevets délivrés. La nouvelle loi instaura ainsi la publication trimestrielle, dans la Gazette de Madrid, des brevets accordés durant cette période, “avec une description claire de leur objet”. Cette pratique se poursuivit jusqu'à l'adhésion de l'Espagne à la Convention internationale pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, qui imposait la publication périodique d'une liste officielle des brevets délivrés. Cependant, ce n'est qu'en 1886 que fut décrétée la création du Bulletin officiel de la propriété intellectuelle et industrielle, qui, à partir de 1904, devint exclusivement le Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI).

Auparavant, le 16 mai 1902, une nouvelle loi sur les brevets avait été promulguée, révisant la précédente. Cette nouvelle loi définissait clairement, sans ambiguïté, les “brevets d'introduction”, destinés aux produits non exploités nationalement et non couverts par un brevet espagnol, et les “certificats d'addition”, pouvant être obtenus par le titulaire d'un brevet d'invention modifiant ou améliorant celui-ci. Un inventeur ayant breveté un produit hors d'Espagne disposait d'un an pour déposer une demande de brevet espagnol. Passé ce délai, toute personne pouvait demander un brevet d'introduction pour son invention en Espagne. La mise en œuvre de l'invention brevetée devait être démontrée dans un délai de “moins de trois ans”. Ceux qui ne disposaient pas des moyens de le faire dans ce délai pouvaient le prolonger en annonçant publiquement leur volonté d'accorder une licence à toute personne qui en ferait la demande.

Certains inventeurs étrangers n'avaient aucune intention de s'installer en Espagne, ni de concéder des licences. Leur objectif, en obtenant des brevets, était de retarder autant que possible le démarrage d'une production nationale susceptible de concurrencer leurs fabrications étrangères.

Un décret-loi royal du 26 juillet 1920 relatif à la propriété industrielle, révisé en 1930, a donné naissance au “Statut sur la propriété industrielle”, qui a servi de base à la législation ultérieure en la matière.

 

Juan Luis Calvó – Janvier 2008

 

Bibliographie:

“Tratado de Derecho Industrial”, H. Baylos Corroza, Madrid 1978

“La Industria Armera Nacional, 1830 – 1940. Fábricas, Privilegios, Patentes y Marcas”, Juan L. Calvó, Eibar, 1997

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