LE REVOLVER "ROBINSON": Original rarissime, ou falsification sans valeur ?
Un visiteur anglo-saxon nous fait parvenir les photos d'un revolver à percussion de prime abord fort curieux, et nous demande de l'aider à établir son origine, qu'il attribue à la Robinson Factory de Richmond, ce qui placerait cette arme parmi les plus rares revolvers confédérés existants à ce jour. Je vais ici donner mon avis personnel, basé sur ce que je vois sur les photos et sur mes modestes connaissances en la matière. Je n'affirme rien, et j'ai conseillé à ce visiteur de faire examiner son arme par des spécialistes.
LA ROBINSON FACTORY
Que sait-on à propos de cette société et de ses statuts avant et au début de la Guerre de Sécession ? Bien peu en fait.
Selon certaines bribes d'informations pas toujours vérifiables, la Robinson fabriquait avant la guerre des armes de chasse, du matériel agricole, de la coutellerie et des ustensiles divers, un peu comme la Remington et Whitney à leurs débuts.
Elle est surtout connue pour ses excellentes copies de la carabine à bloc tombant Sharps 1859, en calibre .52, qui équipa une partie de l'armée confédérée et est connue des collectionneurs comme la "Robinson Sharps"(voir photos)
Entre 1861 et 1863, la Robinson Factory, sous contrat avec le gouvernement confédéré, fabriqua et livra environ 3.500 de ces carabines. Fin 1863-début 1864, le gouvernement prit le contrôle de la société et fabriqua encore, selon les sources, environ 1.500 de ces carabines. C'est probablement l'approche des troupes du général Grant qui ont fait cesser ces activités et provoqué le démantèlement des ateliers.
Il est cependant établi qu'en 1861, la Robinson avait également passé contrat avec l'Ordnance Board confédéré, pour la fabrication d'un certain nombre de revolvers (15.000 ?) du type Whitney Navy, en calibre .36. On sait également que la Robinson possédait les machines-outils nécessaires à la fabrication de revolvers, ainsi que des plans du revolver Whitney - ou du moins de la copie qu'ils étaient chargés de fabriquer.
Cependant, aucun auteur ne mentionne l'existence de ces revolvers, et aucune bribe d'archive ne permet de penser que ces revolvers avaient, en 1861, dépassé le stade de la table de dessin.
En novembre 1861, Edward Spiller, David Burr et le Lt James Burton formèrent la société Spiller&Burr, dont le but était la fabrication de 15.000 revolvers du type Colt Navy pour le compte de l'armée confédérée. S&B racheta les machines-outils et les plans de la Robinson, celle-ci concentrant son travail sur la production des carabines Sharps.
Bien que cette affirmation ne repose sur aucun élément probant, il est logique de penser que les fabricants, en accord avec l'Ordnance Board et ayant à leur disposition machines et plans, aient décidé d'abandonner l'idée des copies Colt pour plutôt produire des copies du Whitney, revolver techniquement supérieur au Colt. La décision d'utiliser du laiton au lieu de fer pour les carcasses, s'explique probablement par le manque de matières premières dans la Confédération au cours de la guerre.
LE REVOLVER "ROBINSON"
En novembre 1861, Edward Spiller, David Burr et le Lt James Burton formèrent la société Spiller&Burr, dont le but était la fabrication de 15.000 revolvers du type Colt Navy pour le compte de l'armée confédérée. S&B racheta les machines-outils et les plans de la Robinson, celle-ci concentrant son travail sur la production des carabines Sharps.
Bien que cette affirmation ne repose sur aucun élément probant, il est logique de penser que les fabricants, en accord avec l'Ordnance Board et ayant à leur disposition machines et plans, aient décidé d'abandonner l'idée des copies Colt pour plutôt produire des copies du Whitney, revolver techniquement supérieur au Colt. La décision d'utiliser du laiton au lieu de fer pour les carcasses, s'explique probablement par le manque de matières premières dans la Confédération au cours de la guerre.
Il est également établi que l'état de Virginie a acheté en 1860 sur le marché libre un nombre indéterminé de revolvers Whitney afin d'armer sa milice en prévision du conflit imminent. L'année 1860 a ici son importance, comme ainsi que le poinçon VA apposé sur la carcasse de l'arme de notre visiteur, en dessous et en-avant du barillet sur la face gauche, comme expliqué plus loin.
LE REVOLVER ROBINSON
Le revolver lui-même n'offre aucune particularité: il s'agit - à première vue - d'un revolver Whitney Navy 1858, ou à tout le moins d'une copie de ce célèbre revolver. Cette arme comporte, comme le Whitney, une carcasse en fer ou acier.
Le pan supérieur du canon porte le marquage "SC ROBINSON, 9th & Arch Str, RICHMOND VA". Je vois sur le côté gauche du canon un poinçon R et sur le refouloir et sa console le chiffre 9, et sur la carcasse, à gauche et en dessous du barillet, les lettres VA. Il va falloir que je me débrouille avec ça.
J'ai donc comparé les photos de notre visiteur avec celles d'un Spiller&Burr 2nd model certifié authentique (voir photos), et celles de mon propre Whitney, lequel est un des premiers, avec un N° de série à 4 chiffres, soit un Second Model 1st Type, fabriqué en 1859.
Procédant par élimination sur base des éléments historiques connus et certifiés, je peux déjà affirmer que l'arme de notre visiteur n'est PAS un des revolvers achetés par l'état de Virginie, et ceci pour les raisons suivantes:
- Si l'état de Virginie a acheté ces revolvers sur le marché libre en 1860, il ne peut s'agir que de Whitney originaux du modèle standard, à savoir le "2nd Model 1st type" identique au mien, puisque les autres n'existaient pas encore.
Ce revolver est équipé d'une attache de refouloir à bille à ressort et d'un canon possédant 7 rayures à gauche. Le barillet ne comporte qu'un seul cran de sécurité sur un des boucliers de cheminée.
On pourrait objecter que le revolver Spiller & Burr est également équipé d'un blocage de refouloir de type Colt; mais je rappelle qu'il s'agit là de S&B du second modèle, comprenant tous les changements ordonnés par le major Downer lors des tests d'acceptation de l'arme par l'armée sudiste. Le 1er modèle, dont il n'existe plus qu'un seul exemplaire connu au monde, avait quant à lui le refouloir à bille à ressort des Whitney de la même époque. Encore une fois, les commandes du gouvernement confédéré ne doivent pas être confondues avec les achats libres de l'un des états.
D'autre part, les revolvers Whitney de ce modèle, numérotés de 1 à environ 2100, portent sur le pan supérieur du canon la mention, en 2 lignes "E.WHITNEY - NEW HAVEN". Ils portent en outre leur n° de série frappé en 4 endroits, à savoir le pan supérieur du levier de refouloir, la carcasse en dessous du pontet (il faut démonter ce dernier pour voir le n°), et la face interne de chaque plaquette de crosse.
Sur les photos de notre visiteur montrant la crosse démontée, on voit nettement que la face interne des plaquettes ne comporte aucun n°. En outre, son revolver est équipé d'une attache de refouloir du type Colt, apparue chez Whitney en 1862-63. Enfin, sur sa photo montrant la bouche du canon de son revolver, on compte nettement 5 rayures au lieu de 7, changement qui n'est apparu que sur le 6è et dernier type, en 1864.
Pour ces raisons, le revolver du visiteur ne PEUT en aucun cas être un des Whitney achetés par l'état de Virginie en 1860, ce qui tend à prouver que le poinçon de propriété VA apposé sur la carcasse est faux, et rend aléatoire tous les autres marquages, en particulier la raison sociale Robinson gravée sur le pan supérieur du canon. En effet, l'état de Virginie n'ayant passé aucun contrat avec cette firme, n'avait aucune raison - ni aucun droit - de faire apposer cette raison sociale sur ces armes. Il y a une différence bien distincte entre un lot d'armes achetées sur le marché libre par un des états confédérés, et un contrat de fabrication passé entre le gouvernement confédéré et un fabricant.
Je ne m'explique pas non plus la signification du petit poinçon visible sur le côté gauche du bloc-charnière du refouloir, ni celle des marquages R et du chiffre 9. Vu ce qui précède et sachant par ailleurs que les Confédérés avaient d'autres soucis que celui de marquer leurs armes, on peut se poser des questions...
S'il s'agit d'une production de la Robinson Factory...
Je ne sais pas si la Robinson Factory avait son siège au coin de la 9è et de Arch Street à Richmond comme dit le marquage du canon, mais plusieurs éléments concernant ce marquage me semblent bizarres:
- Le nom de la firme est "S.C. ROBINSON"suivi d'une adresse de rue, alors que les carabines Robinson Sharps sont signées S.C. ROBINSON, Arms Manufactory, Richmond VA tant sur la plaque de platine que sur le canon. Celles fabriquées après la reprise de l'usine par le gouvernement, sont simplement marquées "Richmond VA".
La mention de noms de rue dans la raison sociale des armes américaines ne se rencontre nulle part. La raison sociale comprend le nom de la société, la localité, et les n°s de brevets officiels. Exemples: "Smith & Wesson, Springfield Mass." ou "Address Col Colt Hartford CT USA", ou encore " E. Remington & Sons, Ilion NY" etc etc.
- Le marquage du canon de cette arme est visiblement frappé à l'aide de poinçons individuels mal alignés. Encore un élément bizarre lorsqu'on sait que la Robinson devait produire un nombre important de revolvers et que tous les fabricants d'armes américains marquaient leur raison sociale à la roulette.
Ce marquage est d'autant plus étonnant que celui des Spiller & Burr, apposé à l'aide de l'outillage racheté à la Robinson, est quant à lui bien un marquage à la roulette. Je passe sur le modèle et les dimensions du lettrage, que je ne suis pas en mesure de vérifier sur base des éléments que je possède.
- Le poinçon VA sur la carcasse est également surprenant: puisque le "revolver Robinson" aurait été commandé par le gouvernement confédéré et non par l'état de Virginie, ce poinçon devrait être C.S ou C.S.A, l'arme étant dans ce cas la propriété du gouvernement et non celle de l'état précité.
AUTRES DETAILS SUSPECTS
- En comparant les photos des trois armes, je remarque une grande différence au niveau des crans de blocage du barillet de celui attribué à la Robinson, qui sont sensiblement plus longs et plus étroits que ceux du Whitney original et du Spiller&Burr, et de plus placés plus près des enclaves de cheminées. Je suis certain que le barillet de ce revolver ne pourrait être utilisé ni sur un Whitney, ni sur un S&B. C'est fort inattendu lorsqu'on sait que la S&B a bel et bien utilisé le matériel de la Robinson pour la fabrication de ses revolvers, et que d'autre part le barillet et le refouloir du S&B sont tellement bien copiés sur ceux du Whitney, qu'ils sont interchangeables...
Ce petit détail technique a une grande importance, parce qu'il influence toute la marche de l'arme:
- Les crans plus profonds, plus étroits et plus longs indiquent une tête de came également plus étroite et plus haute, et donc comportant une "queue" également plus longue permettant au plot à face oblique monté sur le chien d'incliner la came un peu plus pour lui permettre de s'effacer afin que le barillet puisse tourner;
- Ces crans déplacés vers l'arrière supposent que la trappe de passage de la came, dans le cadre sous le barillet, est également déplacée, plus étroite et plus longue;
- Le déplacement des crans et de la trappe vers l'arrière obligent à raccourcir la longueur de la tête de came en-avant de son axe, et donc à rallonger quelque peu la branche droite du ressort de rappel bifide;
- La longueur de l'élévateur doit être revue afin d'assurer un alignement parfait des chambres avec le canon.
Question: pour quelle raison un fabricant possédant tous les plans d'une arme qui avait fait ses preuves de qualité depuis 1858, aurait-il chargé ses ingénieurs d'étudier et de réaliser ces changements de fond qui n'amènent aucune amélioration sensible, et ce justement à une époque où la Confédération est pressée de se procurer un armement conséquent ? Certainement pas la crainte d'un procès pour plagiat, tous les revolvers confédérés étant soit des copies non autorisées de Colt, soit de Whitney, et les états confédérés se souciant peu des lois fédérales...
D'autre part, pourquoi la firme Spiller & Burr, utilisant le matériel de la Robinson, en serait-elle revenue au mécanisme de platine et à la configuration originale des Whitney ?
Enfin, un autre détail a attiré mon attention et me conforte dans l'idée que ce revolver est un faux: sur les photos du visiteur montrant la crosse démontée, on remarque vers le milieu de la branche avant du bâti et sur le coin de calotte avant, deux petites marques circulaires dans le métal. Ces marques ne se rencontrent sur aucune arme ancienne originale, et sont indubitablement les traces laissées par l'injection de métal en fusion sous pression dans un moule; c'est-à-dire une technique moderne. La découverte de la fonte malléable date des années 1880, soit vingt ans après la guerre de Sécession; quant à l'injection sous pression, elle est résolument moderne.
Conclusions
Notre visiteur me dit qu'il a fait examiner son arme par un certain Mr Frederick Edmunds, selon lui un expert en ce qui concerne les armes confédérées, et que cet expert aurait confirmé l'authenticité de ce revolver, alors qu'aucun auteur ne mentionne l'existence de revolvers fabriqués par la Robinson Factory et qu'il n'existe au monde aucun matériel de comparaison certifié ni aucun document probant pouvant attester de l'existence de ces armes. Il me dit également avoir vendu son arme pour la somme de $ 95.000.
Malgré tout le respect que je dois à Mr Edmunds, Confederate Consultant cité par notre visiteur, et dans l'attente de savoir sur quels critères il se base pour confirmer l'originalité de cette arme, cette dernière reste pour ma part une copie moderne retravaillée.
Mais encore ?
- Les crans de blocage du barillet indiquent qu'il ne peut s'agir d'un Whitney original maquillé.
- Pour la même raison, il ne peut s'agir d'un des 1.000 Whitneys fabriqués par Marston.
- Dans le cas des répliques modernes retravaillées, il appert que ni Uberti ni Pietta n'auraient produit de répliques du Whitney. Mais il semble bien, par contre, que Palmetto en ait produit une.
Je me suis procuré des photos de la réplique Palmetto, laquelle est fidèle au dernier type des Whitney, à savoir qu'elle comporte 5 rayures et un barillet présentant un cran de sécurité sur chaque bouclier de cheminée. Ce barillet ne correspond pas à celui du revolver de notre visiteur, mais cela ne veut pas dire grand-chose puisque j'ignore combien de fabricants ont réalisé des répliques de ce revolver.
Notre visiteur nous dit qu'il a vendu son arme récemment pour la somme de $ 95.000; bonne affaire sans doute, mais je pense qu'un citoyen américain fortuné s'est légèrement fait arnaquer...mais qui suis-je ?
Marcel