Les Pistolets «Single Shot» de Joshua Stevens
Les pistolets «single shot» de Stevens ont fait le bonheur de
plusieurs générations de tireurs sportifs et de jeunes Américains dont
ils furent de fidèles compagnons. Leur ligne d’une grande simplicité,
voire pureté, est repérable d’un seul coup d’œil. Robustes, fiables,
précis, relativement économiques et d’emploi aisé, ils font partie
intégrante du patrimoine armurier des États-Unis.
Cependant, les divers modèles de la production de Stevens posent parfois
de réelles difficultés d’identification par leur ressemblance, leur
dénomination quelquefois ambiguë et une numérotation à la logique toute
anglo-saxonne. Cet article vise à éclaircir la généalogie des armes de
poing de Stevens, à l’exclusion des pistolets-carabines («pocket-rifles»)
dérivés disposant d’un canon long et d’une crosse amovible. On trouvera
cependant des variantes par rapport aux descriptions génériques fournies
dans cet article : Stevens, de même que ses concurrents de l’époque,
fournissait des armes sur commande spéciale, lesquelles pouvaient
présenter des caractéristiques spécifiques (par exemple une poignée en
bec de corbin sur un modèle habituellement doté de poignée carrée).
Joshua Stevens est né en 1814. Il travailla pendant 26 ans pour d’autres
fabricants de Nouvelle-Angleterre, dont Samuel Colt, Eli Whitney, Cyrus
Allen et Edwin Wesson. En 1850 débute l’histoire de la J. Stevens Arms
and Tool Company, quand trois hommes fondent conjointement la
Massachusetts Arms Company. Ces trois noms vont devenir célèbres dans le
domaine des armes à feu des USA : Horace Smith, Daniel B. Wesson and
Joshua Stevens. Dans leurs premiers projets figure le premier fusil de
Christian Sharps. En 1852, Smith & Wesson quittent l’entreprise pour
lancer la Volcanic Repeating Arms Co.
En 1864 Stevens fonda sa propre entreprise, à l’âge de 50 ans. Cette
nouvelle aventure fut accompagnée par deux partenaires : James Taylor et
W. B. Fay. Il décéda à l’âge de 92 ans en 1907 après 10 ans d’une
retraite bien méritée… et fortune faite !
En fait, Joshua Stevens n’était pas un inventeur créatif, mais plutôt un
entrepreneur avisé. L’origine de sa lignée de pistolets provient d’un
brevet qu’il acquit en 1864 (patent #44123), décrivant un pistolet
plutôt basique de type «tip-up» (brisure vers le bas). Il
installa son usine à Chicopee Falls dans le Massachussetts, à un moment
précédant de peu la fin de la guerre civile américaine. L’entreprise
resta un leader mondial du marché des armes de poing jusqu’au début du
20ème siècle, avant d’être finalement rachetée par Savage en
1920, puis de disparaître en tant que telle en 1960.
Les archives de la firme ont malheureusement été détruites après la
première guerre mondiale, mais les marquages permettent d’évaluer la
période de production des pistolets Stevens.
1864 à 1886 :
J. STEVENS & CO. CHICOPEE FALLS, MASS. PAT.
SEPT. 6, 1864
(sur une ou deux lignes)
1886 à 1916 :
J. STEVENS A & T CO.
CHICOPEE FALLS, MASS. PAT. SEPT. 6 , 1864
(sur deux lignes)
Ou
J. STEVENS A&T CO.
(sur deux lignes)
1916 à 1942 :
J. STEVENS ARMS CO. CHICOPEE FALLS, MASS. USA
(sur deux lignes)
Le calibre de ces pistolets est généralement le .22 RF, plus rarement
des calibres supérieurs comme les .25 Stevens, .30 RF ou .32 RF, voire
.41 RF.
1.
Les «derringers»
Rappelons que le terme derringer s’applique
aux petits pistolets de poche à un ou plusieurs canons, en hommage à
l’inventeur du concept Henry Deringer (avec un seul r) avec son pistolet
à percussion Philadelphia, resté dans l’histoire pour avoir été l’arme
avec laquelle fut abattu le président Abraham Lincoln le 14 avril 1865 à
Washington.
1.1.
Vest Pocket Pistol (1864-1876)
Production estimée : 500 à 1200.
Parfois surnommé «Kickup Model», ce petit derringer entra en
compétition directe avec le Remington Vest Pocket Pistol. De petite
dimension et peu épais, il était adapté à un port discret dans une poche
de veston ou un sac à main, par exemple. Les premiers modèles ne
portaient que l’inscription «Vest Pocket Pistol», sans
indication du fabricant.
1.2.
Old Model Pocket Pistol (1864-1886)
Production estimée : 15.000.
C’est ce pistolet qui est à la base des différents modèles typiques de
Stevens, jusqu’au début du 20ème siècle. Extrêmement
populaire en son temps, il est le premier pistolet tiré du brevet
originel de 1864. Sa carcasse en laiton porte sur le côté gauche une
petite plaque semi-circulaire, dévissable pour donner accès au
mécanisme.
1.3.
Gem Pocket Pistol (1872-1890)
Production estimée : 4.000.
Simplement marqué GEM sur le canon, ce petit derringer ne dispose pas
d’indication de la marque ni de l’adresse du fabricant. C’est le seul
Stevens ne se chargeant pas par brisure vers le bas, mais par rotation
du canon sur le côté. Il est très similaire à plusieurs concurrents de
cette époque.
1.4.
Deringer Pistol (1875)
Production estimée : environ une centaine.
En calibres .22 ou .41, ce rarissime modèle ne fut sans doute
qu’expérimental et destiné à introduire les armes de Stevens dans la
course au gros calibre. Les quelques exemplaires ayant pu être examinés
ne portent pas d’indication du fabricant. Le canon comporte une partie
octogonale suivie d’une partie ronde, configuration qui sera souvent
reprise dans les productions suivantes.
1.5.
Single Shot Pistol (1886–1896)
Production estimée : 25.000.
C’est un clone du Old Model Pocket Pistol, simplement renommé sans doute
en raison de la notion péjorative de l’épithète Old, peu attractif pour
la clientèle. Les deux modèles se distinguent par leurs marquages : Old
Model marqué J. Stevens & Co., et le Single Shot J. STEVENS A & T CO.
1.6.
Tip-Up N°41 Pocket Pistol (1903–1916)
Production estimée : 80.000.
C’est le plus courant des pistolets de poche de la lignée. Il est
identique au modèle Diamond décrit plus loin, mais avec une poignée
raccourcie et un canon moins long.
2.
Les Pistolets «Target»
Heureux tireurs des USA, des années 1880 au premier quart du 20ème
siècle ! Les plus grands armuriers de la nation du 2nd
amendement leur offrirent plusieurs pistolets «target» du
meilleur niveau : Remington Rolling Block (à partir de 1901), Smith &
Wesson Single Shot Target (4 modèles à partir de 1891), Stevens Lord et
dérivés (à partir de 1880) et, plus tardivement Colt Camp Perry (à
partir des années 1920).
2.1.
Lord N°36 Pistol (1880–1911)
Production estimée : 3.500.
Conçu comme une arme de tir de précision, le modèle Lord est lourd et
massif, disposant d’une poignée allongée par rapport à celles des
derringers, ainsi que d’un pontet muni d’un repose-doigt. Ce pistolet
acquit une réputation de précision au niveau international, et permit
l’établissement de nombreux records de tir à la cible. Son nom est un
hommage à Frank Lord, un tireur de New York réputé à cette époque. Ce
pistolet est également resté dans les mémoires pour avoir été utilisé
par d’autres célébrités : Ira Paine (considéré comme le meilleur tireur
du monde dans les années 1880-1890), Annie Oakley (tireuse d’élite) et
même William Cody, mieux connu sous le surnom de Buffalo Bill.
Plusieurs artisans européens s’emparèrent du design du Lord Model pour
en commercialiser des copies de qualité variable.
2.2.
Conlin N°38 Pistol
1st Issue (1880–1884) & 2nd Issue (1884–1903)
Production estimée : 1st Issue : 500, 2nd Issue :
6.000.
Il s’agit du premier pistolet de la populaire série des pistolets
Off-Hand Target. Il est baptisé en hommage à James S. Conlin qui
possédait un stand de tir à New York.
Le rare premier modèle possède une détente mexicaine avec ou sans
pontet, alors que le second dispose d’une détente classique et d’un
pontet avec repose-doigt. Le modèle Conlin est très similaire au
pistolet Gould décrit ci-dessous. Ils ont tous deux une poignée plus
courte et moins épaisse que celle du modèle Lord, et donc mieux adaptée
aux tireurs munis de petites mains.
2.3.
Gould N°37 Pistol (1889–1903)
Production estimée : 1.000.
Quasiment identique au modèle Conlin, mais sans repose-doigt. Son nom
provient de A.C. Gould, qui fut expert en armes à feu, écrivain et bon
tireur, ainsi que président de la NRA. Ce pistolet fut peut-être le
meilleur de sa catégorie à l’époque.
2.4.
Diamond N°43
1st Issue 1886–1896 & 2nd Issue (1896–1916)
Production estimée : 1st Issue : 25.000, 2nd
Issue : 70.000.
Ces modèles étaient adaptés à la munition de .22 LR. Très répandus et
particulièrement populaires, ils font partie des modèles les plus
faciles à se procurer sur le marché de la collection. Pourvus d’une
détente mexicaine, ils sont parfois munis d’un guidon tunnel.
2.5.
Offhand Target N°35 Pistol (1907–1916)
Production estimée : 35.000.
Sorte de clone du modèle Gould, il est difficile de le différencier de
ce dernier. Extrêmement populaire, ce pistolet est généralement numéroté
au-delà de 25.000, alors que le Gould porte des numéros inférieurs. Il
fut copié par une entreprise allemande.
3.
Conclusion
La firme s’engagea après la première guerre mondiale dans la production
d’un pistolet de design très différent, mimant l’aspect d’un pistolet
semi-automatique, mais sans grand succès. Ce modèle, le N°10, est
difficile à se procurer.
Les modèles Stevens conçus et fabriqués antérieurement à 1900 sont
classés en collection dans de nombreux pays, et sont donc d’acquisition
libre. Ils restent de très bonnes armes pour le tir récréatif ou de
précision, une fois accoutumé à leurs organes de visée d’un autre temps.
Sources, et pour en savoir plus
Histoire de la firme Stevens :
https://tincanbandit.blogspot.com/2018/09/firearm-factory-of-month-j-stevens-arms.html
Généalogie des pistolets Stevens :
Par Cecil B. Kyser :
https://americansocietyofarmscollectors.org/wp-content/uploads/2019/06/1970-B21-Story-Of-The-Stevens-Pistol.pdf
Par Thomas S. Kyser :
https://ogca.com/3d-flip-book/thomas-l-kyser-on-the-history-of-stevens/
Pocket-rifles Stevens (pistolets-carabines) :
Par R. Out, Gazette des Armes, N° 481, décembre 2015.
Remerciements
Merci aux propriétaires des images ayant autorisé leur reproduction, et
à mon grand ami Bernard Vergucht pour sa relecture et ses suggestions
pour améliorer le manuscrit.
Jean-Christophe Plaquevent |