Société Française d'Armes Portatives.

Le fusil DAUDETEAU de 6,5 mm et l'affaire du MAUSER M 1871 pour l'Uruguay, alias fusil DOVITIS

 D'AUDETEAU ET SES FUSILS "A" ET "B" :

 Louis d'AUDETEAU (je précise que la particule de son patronyme avait été omise pour transformer la dénomination de ses prototypes en simple "DAUDETEAU"  à une époque ou la République, dure, laïque et plutôt sectaire, n'appréciait guère ces évocations d'ancien régime lorsque l'on désirait présenter ses inventions à l'État…!) ne se contentait pas de concevoir des armes, mais s'intéressait aussi aux munitions qu'elles devaient tirer, à leurs projectiles et à des accessoires tels des chargeurs rapides, voire à des mitrailleuses multicanons, des culasses pour l'artillerie, etc.…

C'est ainsi que l'on répertorie en des calibres divers des cartouches DAUDETEAU nomenclaturées de n°1 à n°14, plus quelques autres sans numéro, commandées chez les plus importants munitionnaires de cette fin de XIXe siècle, comme la S.F.M. en France ou KELLER & Cie, en Autriche.

L'une de ces munitions est la 6,5 mm DAUDETEAU n°12, prévue pour une série d'armes conçues en 1884-1885 et ayant débouché sur le fameux fusils "modèle A" et "modèle B", proposés aux militaires. A ce sujet, précisons que jamais ces armes n'ont eu en France du moins, un statut réglementaire, contrairement à ce qui est pieusement répété depuis des lustres, suite à une publicité malencontreuse passée par la Manufacture d'Armes & Cycles de St Etienne dans ses catalogues d'avant 1914. Cette publicité, parallèle aux propositions concernant les fusils Mle 1886-93 (Lebel) n'avait pour but que de prêter à l'arme un statut militaire, espéré mais jamais acquis, pour en améliorer les ventes, du moins le croyait-on.

Un certain nombre de ces armes auraient été mises à l'essai dans deux compagnies d'infanterie de marine au Tonkin au début du XXe siècle, d'après ce que nous avait confié M. Gérard d'Audeteau, petit fils de l'inventeur  en 1980. Il est certain que le fusil et la carabine furent très soigneusement testés par les services de l'Artillerie au Camp de Chalons de 1895 à 1896, qui appréciaient particulièrement la précision de l'arme, et les caractéristiques de rasance de sa munition, mais déploraient sa complication et son invraisemblable lame-chargeur de "style nouille"…

Vers 1898, Louis d'Audeteau part en Roumanie présenter son fusil, raison probable des fabrications de cartouches de 6,5mm n°12 en Autriche, mais là encore, sans succès, ce pays ayant déjà choisi un MANNLICHER , le Mle 1993.

Le fusil est encore essayé par le Chili, qui lui préfère un MAUSER en 7x57. On mentionne encore la possible transformation en 6,5mm n°12 de quinze mille REMINGTON ESPAGNOLS appartenant au Salvador. Ce pays choisira là aussi le MAUSER ESPAGNOL.

Peu versé dans les affaires et le commerce, d'Audeteau, déçu par l'accueil négatif des militaires (qui n'osaient pas changer de but en blanc la très grande quantité de "Lebel" déjà disponibles contre une arme aussi radicalement différente, même si elle fonctionnait beaucoup mieux, et était dotée d'une remarquable cartouche) cède la plupart de ses brevets à l'industrie privée.

Dans sa livraison d'octobre-mars 1902-1903, la très officieuse Revue d'Artillerie (n°59) cite l'acquisition desdits brevets au début des années 90 par la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer, à St Etienne, une société collective étant créée à St Denis (Seine) en tant que S.F.A.P. ou Société Française d'Armes Portatives, qui cessera ses activités en 1902, après avoir fabriqué 10 000 fusils DAUDETEAU calibre 6,5 mm et 5 000 carabines de même système. Le stock des invendus sera alors cédé à la "Manuf". Il est encore possible que cette "Compagnie " soit à l'origine de la tenace légende de l'adoption du DAUDETEAU par la Marine française dont on nous rebat régulièrement les oreilles

S'étant sabordée, la S.F.A.P. ou ce qui en reste, soit le "Service des Armes Portatives", toujours à St Denis étudie enfin une modification du DAUDETEAU à un coup, comme "modèle économique" (sic!) pour la Serbie. Il n'en restera rien…

Dans le même temps, la S.F.A.P. a procédé également à la transformation de 10 000 fusils MAUSER M.1871 primitivement destinés à la Colombie toujours en 6,5 mm n°12.  Pourquoi ce calibre? Parce que la munition s'était révélée excellente au tir et qu'une certaine  mode étant alors au petit calibre, la 8 mm Mle 1886 constituait une véritable monstruosité avec son étui en double tronc de cône, uniquement justifié par une économie de machines lors du passage du 11 mm Mle 1874 ou 74/85 à la nouvelle cartouche, ce que l'on payerait durement plus tard.

 LE DOVITIS :

En 1894, L'état-major uruguayen se préoccupe de la mise en service dans son armée d'armes modernes de petit calibre, face au rééquipement dans ce sens de ses puissants voisins. La petite armée locale utilise un échantillonnage disparate de MAUSER M.1871 achetés en Allemagne et de REMINGTON "ROLLING BLOCK" en 11 mm Rem, obtenus aux  USA.

Les fonds sont bas, les marchands d'armes et intermédiaires gourmands…intervient alors un mécène inattendu en la personne d'un tailleur militaire grec du nom de DOVITIS, qui ayant fait fortune dans la confection d'uniformes destinés aux forces armées de sa nouvelle patrie, décide d'offrir sur ses propres deniers, un armement neuf à sa nouvelle patrie! En fait d'armement neuf, il va falloir se contenter de la transformation de ce dont on dispose, en l'occurrence de recannoner les MAUSER 1871 dans un calibre plus moderne.

On ignore malheureusement par quels méandres notre homme passa pour aboutir in fine à la S.F.A.P. de St Denis …! Toujours est-il que 10 000 de ces pétoires se retrouvent sur un bateau destination le vieux continent.

Pour quel motif avoir choisi ce calibre étrange de 6,5 mm n°12 ? on peut y voir une probable "magouille" entre initiés et "spécialistes", en se souvenant qu'il fallait sans doute honorer les commandes de cartouches passées à la S.F.M., entre autres, pour les essais malheureux des deux autres"produits-phares"de la maison, les modèles "A" et "B".

Les DOVITIS rentrent au bercail, accompagnés d'une quantité substantielle de munitions, et vont être distribués à la troupe, mais l'affaire se révèle vite un mémorable fiasco: en effet, les cartouches fabriquées par la S.F.M. ont une amorce dont le laiton, trop épais, provoque une percussion très irrégulière, le ressort de percuteur du 71 n'ayant pas été renforcé. En outre, à l'époque, le procédé de recuit partiel des étuis est encore inconnu et sur ce petit calibre, les phénomènes de tension du métal provoquent au collet des fissures longitudinales désastreuses. Sur les deux uniques lots livrés, à marquage de culot uruguayen, la presque totalité finira honteusement, balancée dans les eaux du Rio de la Plata …Et ce sera la fin de cette arme hybride, sauf, bien sur, pour les collectionneurs.

DOVITIS, ne se décourageant pas pour si peu, récidivera en proposant de faire recannoner des fusils français GRAS de surplus en 7x57 MAUSER ! Heureusement, les meilleures histoires étant les plus courtes, l'Uruguay adoptera à ce moment le MAUSER de ce calibre…et ce sera la fin de l'histoire.

Philippe Regenstreif, avril 2005.

Cette note est tirée de plusieurs  articles que j'ai publié dans CIBLES sous le pseudo d'Alain Bardy en 1980

Merci à B. Burton pour les photos

Voila un autre de ces fusils

Photos gentiment autorisées par "ANTIQUEFIREARMS"

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