Les revolvers Bull Dogs de la Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint-Étienne
La célèbre Manufacture Française d'Armes de Saint-Étienne fut fondée par
Mimard et Blachon le 10 novembre 1885. En 1902, l'entreprise devient la
Manufacture Française d'Armes et Cycles. Le terme Manufrance décrit la
division commerciale de l’entreprise, qui sera rendue célèbre par ses
catalogues annuels, sources inépuisables d’émerveillement pour les
consommateurs par la richesse des produits proposés, à une époque où la
distribution reste souvent liée au bon vouloir des détaillants d’une
localité…
En effet, les catalogues de l’entreprise Manufrance détaillent une foule
d’objets parmi lesquels une gamme étendue d’armes. Bien entendu, les
revolvers Bull Dogs sont présentés dès l’origine de Manufrance, et
portent les marques d’épreuve de Saint-Étienne. On peut cependant douter
d’une fabrication française car ces armes présentent systématiquement
des marquages cryptiques de la sous-traitance liégeoise comme des
lettres caractéristiques de contrôleurs belges ainsi que le fameux R
couronné indiquant la présence d’un canon rayé. Néanmoins, ces revolvers
sont dispensés de l’ovale ELG : on peut supposer que, à l’instar de
certaines habitudes également rencontrées aux USA et même en Angleterre,
les armes étaient envoyées à Saint-Étienne, franches de poinçon
d’épreuve liégeois, pour être estampillées sur place du fameux poinçon
stéphanois. Cette assertion est étayée par la lecture de l’album Galand
de 1882, dans lequel l’auteur critique avec virulence l’armurerie
stéphanoise. Au sujet des armes de poing, il s’appuie sur un rapport de
la commission des douanes daté de 1875, dans lequel les experts ont
relevé la provenance de 1584 revolvers, provenant tous de Liège, «et qui
ont dû être soumis, à Saint-Étienne à une nouvelle épreuve». Ce rapport
conclut : «on ne fabrique pas de revolvers à Saint-Étienne» !
Un exemple de cette pratique concernant la Grande-Bretagne est illustré
par cet excellent Bull Dog, à l’évidence d’origine belge, mais
uniquement estampillé de poinçons d’épreuve britanniques. Le canon porte
la marque «William Clark Maker» : on trouve occasionnellement des armes
ainsi revendiquées par ce pseudo-fabricant qui est réputé pour avoir
fait importer des revolvers à partir de Liège, mais démunis de tout
poinçon belge afin de les faire enregistrer en Angleterre.
Cependant, la lignée des Bull Dogs de Manufrance dispose de
caractéristiques communes, dont la présence d’un barillet flûté en ovale
et de plaquettes de poignée généralement en ébène. Les trois calibres
européens (320, 380 & 450) sont proposés, avec une nette prédominance
des petits calibres. Les revolvers en calibre 450, de loin les plus
rares, sont tous dotés d’un mécanisme à platine rebondissante. Leur
silhouette est moins trapue que celle des Bull Dogs Webley et Galand,
offrant ainsi une prise en main plus agréable et confortable, mais au
détriment de la compacité. L’image suivante permet de comparer deux
modèles, en haut un Manufrance et en bas un Galand type 2, tous deux en
calibre 450. Ces revolvers sont chambrés dans un calibre de 12mm, afin
d’accommoder indifféremment les munitions de 11 mm 73 ou de 450.
Deux séries principales se distinguent :
La première série montre un logo sur la poignée présentant deux C
entremêlés, évoquant une fabrication par Charles Clément en Belgique. La
deuxième diffère par des poignées lisses et un marquage AD couronné sur
la carcasse qui laisse supposer une fabrication par DD Ancion, également
à Liège.
Quelques exemplaires, issus des deux séries, sont présentés ci-dessous.
Pour chaque référence, le revolver pouvait être fourni soit en finition
bronzée, soit en finition nickelée. La plupart des exemplaires portent
un numéro de série, probablement enregistré et poinçonné à
Saint-Étienne. Manufrance aura essentiellement distribué des revolvers
de petit calibre, et parfois très modifiés par rapport à la définition
stricte du British Bull Dog. Les armes en calibre 380, et surtout 320,
restent beaucoup plus aisées à trouver aujourd’hui. La qualité de
fabrication, et par conséquent l’état de conservation de ces pièces, est
variable. Il s’agit à l’évidence d’armes de fabrication et de finition
inférieures à celles des authentiques Webley N°2 ou des Bull Dogs
Galand. Cependant de bons exemplaires peuvent encore être découverts,
comme par exemple l’excellent Puppy en calibre 380 présenté ci-dessous.
Pour la petite histoire, ce dernier revolver fut retrouvé lors de la
succession d’un magasin de cycles dans une petite ville de province,
rappelant que beaucoup de produits Manufrance étaient distribués dans
ces échoppes, y compris les armes à feu…On notera le poinçon AD étoilé,
typique d’une fabrication liégeoise de DD Ancion.
De façon remarquable, car très inhabituelle dans le monde des British
Bull Dogs, ces deux derniers exemplaires porteurs de numéros voisins
sont à l’évidence issus de la même fabrication et semblent identiques…
Jean-Christophe Plaquevent
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